Depuis quelques années, un métier d’un genre nouveau a pignon sur rue ou plutôt sur les airs, celui des GP, pour désigner celles et ceux qui font de la Gratuité Partielle. Il est exercé par des femmes et des hommes qui mettent à disposition de leurs clients les suppléments de bagages gratuits dont ils bénéficient auprès des compagnies aériennes en monnayant les colis qu’ils vont transporter au kilogramme. Un métier en vogue, qui paie bien mais qui expose à beaucoup de risques d’autant que les trafiquants de drogue ont flairé le filon et ne rechignent pas à l’exploiter.
Les GP sont très prisés par la communauté subsaharienne au Maroc, qui voit en eux, un moyen rapide d’envoyer des bagages au pays mais également d’en recevoir. Un métier en vogue, qui paie bien mais qui expose à beaucoup de risques car exploité par les trafiquants en tous genres.
Ndèye Marie Sow est une des GP les plus connues de Casablanca. Cela fait six ans qu’elle a échangé son job de téléconseillère dans un centre d’appel pour se lancer dans ce « métier où on gagne bien sa vie », selon ses propos.
« Mon travail consiste à transporter des bagages par voie aérienne, en ce qui me concerne, de Dakar vers Casablanca, de Casablanca vers Dakar et aussi de Casablanca vers Paris et de Paris vers Casablanca. Ma clientèle est composée essentiellement de Sénégalais vivant au Maroc. Je leur permets d’acheminer des bagages au Sénégal ou d’en recevoir du pays dans les meilleurs délais », explique Ndèye Marie Sow qui effectue en moyenne deux à trois voyages dans le mois, entre le Maroc, le Sénégal et la France.
Une clientèle composée de particuliers et d’entreprises
Pour rendre son business rentable, elle a dû voyager moult fois avec la même compagnie, en prenant le soin dès le départ de prendre la carte de fidélité. « L’avantage que l’on a, quand on travaille avec la même compagnie, c’est qu’on est fidélisé, ce qui nous permet d’avoir droit à une troisième valise de 23 kg gratuite ainsi que d’autres avantages. Par exemple, au bout de 15 voyages par an, tu bénéficies du statut de client Silver, à 25 voyages, tu passes au statut Gold et à 75 voyages, tu deviens un client Platinum. Chaque statut ou palier nous confère des avantages : avoir une 3e valise de 23 kg, avoir la possibilité de passer en priorité, avoir la possibilité d’aller en Business Class quand les vols sont pleins ou avoir accès au salon d’honneur de l’aéroport », précise Ndèye Marie, qui est aujourd’hui client Platinum.
Elle facture ses kilogrammes gratuits qu’elle met à la disposition de ses clients. Le tarif varie entre 70 et 80 DH, un prix qu’elle établit en fonction de celui de son billet d’avion mais pas seulement. La nature des bagages transportés pèse également dans la balance. « Pour tout ce qui est téléphone par exemple, je le facture par pièce parce que c’est un produit qu’il faut dédouaner dans les deux pays, de départ et d’arrivée », souligne-t-elle.
Pape Samba aussi est GP. Il a embrassé le métier depuis plus d’une décennie, lui qui était auparavant commerçant et taximan entre l’aéroport et Casablanca. À l’instar de Ndèye Marie, lui également facture au kilogramme, avec une tarification à partir de 70 DH mais il s’est surtout spécialisé dans le transport d’agendas pour quelques entreprises sénégalaises qui passent commande au Maroc. « Ces entreprises font des commandes d’agendas ou d’autres fournitures. Quand ce sont de très grosses quantités, il m’arrive de transporter moi-même une partie par voie terrestre, d’envoyer une deuxième partie par fret et une troisième par camion », affirme Pape Samba. Dans ce cas de figure, il monnaye les bagages à 100.000 F CFA (1.600 DH) le carton. Comme Ndèye Marie, il reconnaît gagner bien sa vie avec son métier de GP.
Un métier exposé au trafic de drogue
Si leur travail nourrit bien sa femme ou son homme, il n’en demeure pas moins risqué voire très risqué. Ndèye Marie tout comme Pape Samba s’accordent à le dire et sont tout le temps sur leurs gardes. Et pour cause, des trafiquants de tous genres notamment de drogue ont trouvé dans les GP un bon moyen de transporter leurs marchandises sans s’exposer.
« Il m’est arrivé que l’on me remette des bagages dans lesquels a été dissimulée de la drogue sans que je ne le sache. Un jour, je suis allé à l’aéroport pour envoyer des agendas au Sénégal et quelqu’un m’avait remis un carton qui contenait une machine à panini. Quand les policiers l’ont passé au scanner, ils ont découvert qu’il y avait du haschich dissimulé dedans. Heureusement pour moi, les policiers à l’aéroport me connaissent et savent que je ne verse pas dans du trafic de drogue. Même si j’ai fini au commissariat, j’ai pu être libéré par la suite », raconte Pape Samba.
Il m’est arrivé que l’on me remette des bagages dans lesquels a été dissimulée de la drogue sans que je ne le sache.
Ndèye Marie, elle, a eu la malchance de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Alors qu’elle s’apprêtait à prendre un vol pour Dakar, elle a croisé un collègue GP avec qui elle a sympathisé à l’entrée de l’aéroport de Casablanca. Sauf que malheur lui en a pris. Ses bagages ont été passés au scanner en même temps que son collègue, dont l’une des valises, qui contenait a priori des djellabas, dissimulait au fond des plaquettes de haschich.
Quand les policiers ont découvert le pot aux roses, ils les ont interpellés tous les deux, malgré le fait que Ndèye Marie leur ait fait comprendre qu’elle ne connaissait son collègue que de nom et qu’ils n’étaient pas ensemble.
« Quand les policiers ont déchiré le fond de la valise, il y avait des plaquettes de haschich. C’était la première fois que je voyais cela et je me suis mise à crier comme jamais. Malgré le fait que j’ai insisté en disant aux policiers que chacun voyageait de son côté et que je venais de rencontrer le gars pour la première fois, ils nous ont menottés tous les deux et nous ont amenés au commissariat de l’aéroport », raconte Ndèye Marie.
Après un interrogatoire séparé à l’issue duquel, le collègue a confirmé le fait qu’ils ne se connaissaient que de nom et qu’ils venaient de se rencontrer à l’aéroport, Ndèye Marie n’a pas échappé au scanner que les policiers font passer aux mules, ces personnes à qui les trafiquants font appel et qui avalent de la drogue pour la transporter.
« Les policiers ont par la suite passé au peigne fin mon téléphone pour savoir si j’avais le numéro du gars et si on s’était parlé au téléphone auparavant. Heureusement que je n’avais pas son numéro et que l’on n’a jamais eu de contact avant cette rencontre. Finalement, les policiers ont décidé de me laisser partir et ont gardé le gars. J’étais soulagée de sortir de ce carcan mais cela a été une épreuve très difficile et traumatisante pour moi », nous confie Ndèye Marie.
Le conseil que je donne à tous ceux qui se lancent dans ce business est de prendre le temps de toujours bien vérifier les bagages qu’on leur remet.
Des GP interpellés ou arrêtés
Si Pape Samba et Ndèye Marie ont pu s’en sortir, d’autres GP n’ont pas eu cette chance et sont finalement passés par la case prison pour avoir été interpellés avec des bagages contenant de la drogue. On se rappelle notamment de l’étudiante sénégalaise qui rentrait au pays en février 2021 et qui a profité de son voyage pour s’improviser GP. Son arrestation avait ému la Toile et heureusement pour elle, la mobilisation de la communauté sénégalaise notamment au Maroc avait fini par aboutir à l’arrestation du trafiquant qui lui avait remis la drogue, mais tout le monde n’a pas cette chance.
« Beaucoup de gens font le métier de GP sans pour autant être conscient des risques. Le conseil que je donne à tous ceux qui se lancent dans ce business est de prendre le temps de toujours bien vérifier les bagages qu’on leur remet. Il ne faut jamais se dire : comme je connais bien la personne, je ne vais pas vérifier ce qu’elle me donne. Même si c’est ma propre sœur qui me les remet, je les vérifie quand même », conseille ainsi Ndèye Marie.
Même son de cloche chez Pape Samba, qui avoue toutefois que malgré les précautions que prennent les GP aguerris, le risque est toujours présent dans la mesure où les trafiquants rivalisent d’ingéniosité pour cacher la drogue : dans des pots de chocolat ou de café, sans oublier un autre trafic, celui du blanchiment d’argent ou également la simple ignorance de la réglementation douanière qui expose certains GP à de sévères sanctions. Lucrative mais très risquée, ainsi va la vie des GP au Maroc.