Président du « Mouvement Jeuf, Agir ensemble pour le changement ! » Thione Niang fait partie des candidats à l’élection présidentielle prévue le 25 février prochain au Sénégal. En visite au Maroc, il y a quelques jours, il nous accordé une interview pour parler de son projet pour le Sénégal. Ce jeune entrepreneur a une nouvelle vision de la politique. Depuis 2006, il a initié plusieurs projets impactants pour le Sénégal et l’Afrique : Jeuf Zone Farms, Give1Project Digital Academy, Afro Global Connect, Give1Project Women Training Center…
Attaches Plurielles : À deux mois de l’élection présidentielle, où en êtes-vous ?
Thione Niang : Nous avons obtenu plus de parrainages qu’exigés alors que je me suis porté candidat, un mois avant la fin du délai de dépôt (NDLR : Interview enregistrée avant le dépôt de sa candidature au Conseil Constitutionnel). Il faut dire que ce sont les jeunes et les femmes qui sont venus me voir pour me demander d’entrer en politique. Je leur avais alors dit : je vous donne un mois pour me garantir que cela va être un « We not Me ! », ce qui veut dire « Nous et pas moi » parce que je ne voulais pas être le candidat qui va venir créer un mouvement politique, le financer et que les gens attendent à côté que je fasse tout, comme nous avons l’habitude de le voir avec les leaders politiques en Afrique, particulièrement au Sénégal où le chef de partie fait tout. Je suis vraiment persuadé qu’une seule personne ne peut pas changer un pays. Elle peut avoir la vision mais il faut que tout le monde s’implique, que chacun serve à son échelle et joue sa partition pour faire marcher le pays. Nous avons réussi ce challenge des parrainages avec une forte mobilisation des volontaires et des cadres, ce qui m’a conforté dans le fait que je ne suis pas seul et que c’était le moment de s’engager.
« Nous ne devons pas donner tous les pouvoirs à une seule personne qui va ainsi prendre des décisions sans consultation…
Nous avons également réuni toute la caution au sujet duquel, j’ai fait une sortie sur les réseaux sociaux, il y a quelques jours, pour dire aux adhérents que j’ai cotisé et que tout le monde devait en faire de même. Certains s’attendaient à ce que je fasse comme les politiciens classiques en finançant tout. Je leur avais rétorqué qu’il n’en était pas question. Ce n’est pas de ce genre de politique dont l’Afrique a besoin aujourd’hui. Il nous faut un engagement participatif où chacun se demande ce qu’il peut d’abord faire pour son pays. C’est un devoir et cela doit se faire d’abord au niveau des partis politiques.
Nous ne devons pas donner tous les pouvoirs à une seule personne qui va ainsi prendre des décisions sans consultation, nommer comme il veut… parce que c’est lui qui a tout financé. Ce qui m’importe, c’est d’avoir de l’impact et je me réjouis des retombées que nous avons au Sénégal notamment dans l’agriculture avec les jeunes et les fermes Jeuf Zone, l’Institut Agricole, les Daaras modernes, Give1Digital Academy, la formation des jeunes sur l’Intelligence Artificielle, la robotique… Nous avons également fait la même chose avec les femmes via le Women’s Training Center où plus de 5.000 femmes sont formées, entreprennent et deviennent autonomes. Tout cela montre l’impact de ce que nous faisons avec la communauté sénégalaise mais également avec la diaspora par le biais de l’Afro Global Connect…
Ma sortie concernant la caution de candidature a fait beaucoup de bruit dans le pays mais voilà : soit on veut le changement et on se donne les moyens d’y arriver, soit on ne fait pas bouger les lignes. J’ai donné un ultimatum aux adhérents et ils s’y sont tenu et ont réuni l’argent nécessaire. S’ils n’y étaient pas parvenus, je serais retourné travailler dans mes fermes parce qu’honnêtement, être président ou ne pas être président n’est pas le plus important. C’est plus l’engagement pour mon pays qui m’importe. Maintenant que je me suis engagé en politique, je veux amener le débat sur les questions d’urgence que nous avons aujourd’hui : l’emploi, la jeunesse, l’agriculture, la lutte contre l’émigration clandestine, la santé, les femmes… Ce sont là les vraies urgences mais pas le débat polarisé et axé sur des personnes que nous voyons au Sénégal. Les politiques ne sont pas dans le débat économique alors que c’est l’urgence, c’est là où on les attend pour redresser notre pays.
A.PL.: Ces dernières années, vous a pris le temps de poser des actes concrets avec des projets économiques à destination des femmes et des jeunes, avant d’entrer en politique. Pourquoi ce cheminement était-il nécessaire à vos yeux ?
T.N. : Je suis arrivé presque par accident à la politique. Ce ne sont pas les actes que j’ai posés auparavant qui ont défini ma candidature bien que beaucoup de gens pensent que tout cela a été calculé. Honnêtement, ce n’est pas le cas. Mon pays a besoin de mes compétences. Je suis rentré au Sénégal, il y a 9 ans et durant toutes ces années, j’ai travaillé au point d’avoir de l’impact sur le quotidien des femmes rurales, des jeunes, partout dans le pays. Mon approche a été que l’on a vraiment besoin d’agir sur les urgences pour notre pays. L’occasion s’est présentée de continuer à agir via la politique et nous l’avons saisie. C’est bien beau de critiquer les politiques mais si on n’entre pas dans l’arène pour changer les règles du jeu, on donne l’occasion de perpétuer le système.
« Le développement ne s’importe pas, il se sème localement, dans les têtes à travers l’école ; il se sème dans la terre, à travers l’agriculture. »
J’ai donc choisi de travailler avant de m’engager. Aujourd’hui, personne ne peut nier mon impact dans le pays et je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de politiques qui ont cet impact au niveau local, chez les jeunes et les femmes. Cela devait être d’ailleurs un prérequis avant de demander à diriger un pays car il ne suffit pas d’avoir des idées, il faut savoir les concrétiser. Il faut avoir les bons hommes aux bonnes places pour rendre tout cela concret mais également faire le suivi et l’évaluation. C’est pourquoi j’ai dit aux Sénégalais : je n’ai pas de programme, j’ai une vision pour mon pays. Je veux que dans les décennies à venir ou dans un siècle, les générations d’aujourd’hui et les générations futures sentent que j’ai eu un impact, en tant que président, sur leur vie.
Ma vision est de créer la révolution agricole du Sénégal. Je veux que dans 15 ans, le Sénégal nourrisse l’Afrique de l’Ouest, que le Sénégal soit le grenier de l’Afrique de l’Ouest. Naturellement, le Sénégal doit être un pays agricole parce qu’on a tous les atouts. Quand la Chine a décidé de dire : dans 30 ans, je voudrais être l’usine du monde entier, elle l’a fait en se focalisant sur ses atouts. Le Japon a fait sa révolution, la Corée du Sud est en train de faire la sienne, le Rwanda est en train de le faire notamment dans les services. Je veux faire la même chose au Sénégal, au niveau de l’agriculture. Nous avons l’eau, le soleil, la jeunesse, les terres arables. Nous avons absolument tout pour créer cette révolution agricole. Cela me fait mal de voir tous ces camions qui viennent du Maroc chargés de produits agricoles alors que nous avons plus d’atouts que le Maroc pour tout produire localement mais il nous faut la vision, le leadership et l’exécutif pour matérialiser tout cela. Le développement ne s’importe pas, il se sème localement, dans les têtes à travers l’école ; il se sème dans la terre, à travers l’agriculture et tout cela se répercutera sur notre économie.
Je veux commencer ce travail à partir de l’école élémentaire, à travers l’économie de la connaissance, dès l’enfance. Je vais y instaurer nos langues, nos valeurs. On y apprendra nos valeurs culturelles mais aussi nos valeurs de par nos modèles, nos modèles religieux : Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadji Ibrahima Niasse… Ils ont écrit des livres mais on ne les lit pas. Or, si on ne les lit pas, on ne peut rien apprendre d’eux.
A.PL.: Vous vous êtes lancé justement dans l’agriculture en créant Jeuf Zone Farms au Sénégal. Si vous aviez à expliquer le concept à ceux qui ne le connaitraient pas, que leur diriez-vous ?
T.N. : Jeuf Zone Farms est une réponse à l’une des questions les plus urgentes de notre génération. C’est aberrant, triste et désolant d’avoir un pays aussi riche de tout : l’eau, la jeunesse, les terres arables et le soleil et ne pas parvenir à une autosuffisance alimentaire. Jeuf Zone Farms, c’était ma façon de dire que ce n’est pas possible de continuer à manger du riz qui vient d’Indonésie, du pain et de l’huile qui viennent d’Ukraine… alors que tout ce que nous mangeons, nous pouvons le produire chez nous. J’ai alors fait du « Leading by example », en investissant mon argent, en mettant mes bottes, en allant suer au soleil pour montrer l’exemple. J’ai créé Jeuf Zone Farms en 2014, au prix de beaucoup de sacrifices, de pertes d’argent mais je n’ai jamais lâché. Aujourd’hui, je suis fier que les gens viennent s’y former. Nous en sommes à la 67e promotion. Ils viennent de partout : du pays, du continent, de la diaspora. Il y a même des ingénieurs, des avocats et des jeunes qui ne pensaient jamais faire de l’agriculture, qui viennent dormir sur place, se former et ensuite vont acheter des fermes pour faire de l’agriculture. J’ai déjà semé les graines de cette révolution agricole dont je parle et pas seulement pour le Sénégal mais pour l’Afrique. Et je sais que les jeunes que nous sommes en train de former vont nous aider à accélérer cette révolution.
A.PL.: Dans vos ouvrages notamment dans « Demain, tu gouvernes le monde », vous vous adressez beaucoup aux jeunes que vous invitez à s’engager. Aujourd’hui, qu’aimeriez-vous dire à la jeunesse africaine ?
T.N. : Demain, c’est déjà aujourd’hui ! Oui, les jeunes vont diriger le monde mais la question est de savoir qu’est-ce qu’ils vont en faire. Le changement est inévitable. La seule chose constante dans la vie, c’est le changement de paradigme. Aujourd’hui, il y a un nouveau type de leaders qui arrivent et ce sont nous les jeunes. Je leur dis : soyez prêts, « armez-vous de sciences jusqu’aux dents » comme le disait Cheikh Anta Diop, parce que celui qui veut diriger doit d’abord savoir. Il faut donc aller chercher les compétences qu’il faut partout mais en ne perdant pas de vue que votre continent a besoin de vous. Le changement que l’on veut voir est que chaque Sénégalais qui veut se soigner puisse le faire chez lui, qu’il n’y ait plus de gens qui meurent à l’hôpital parce qu’ils n’ont pas 5.000 F CFA à payer. Le changement que l’on veut voir est que les jeunes aient cette fierté de rester et travailler dans leur propre pays et non d’aller mourir dans l’océan en quête de lendemains meilleurs ailleurs…
Pour cela, il faut agir car on peut avoir toutes les belles idées du monde, tous les grands projets du monde mais si on n’a pas le Jeuf (action) cela ne sert à rien. Nous avons besoin d’agir et si chacun agit à sa petite échelle, la somme de ces petites actions créera quelque chose de phénoménal. «The collectif of small actions will amount a big thing that can change the world». Autrement dit : ce sont les petites choses que l’on fait partout qui vont apporter le grand changement dont nous avons besoin. Il faut oser agir et changer parce que si chacun de nous change, le Sénégal changera, l’Afrique changera.