Enass, « média des sans voix », a projeté son documentaire « Les aventuriers d’Ouled Ziane », le mercredi 15 mai, à la Fédération des Œuvres Laïques de Casablanca. Cette immersion dans le campement qui jouxtait la gare routière d’Ouled Ziane donne à voir des fragments de la vie des migrants et permet à ces hommes en quête d’Europe, échoués au Maroc, d’avoir voix au chapitre.
Diffusé en avant-première à Rabat le 11 novembre 2023, le documentaire « Les aventuriers d’Ouled Ziane : des exilés sur la nouvelle frontière de l’Europe », réalisé par Salaheddine Lemaizi, Majdouline Benkharba et Anass Laghnadi, a été projeté à la Fédération des Œuvres Laïques de Casablanca, devant un public composé notamment de la société civile, des médias et d’invités.
Tourné suite à une couverture régulière de l’actualité souvent tumultueuse voire macabre du campement des migrants à Ouled Ziane depuis 2016 (le campement a été rasé par les autorités locales le 18 février dernier, suite à un énième incendie, NDLR), le documentaire donne la parole à ces hommes bloqués au Maroc dans leur aventure migratoire vers l’Europe.
« L’idée est venue du suivi régulier de la situation du campement d’Ouled Ziane. À chaque fois, on venait pour couvrir soit un incendie, soit un conflit, soit un accrochage entre migrants subsahariens et Marocains ou entre migrants subsahariens eux-mêmes. Au départ, nous voulions travailler sur le vivre-ensemble dans un espace précaire et finalement, on a été happé par l’ambiance au sein du campement », précise Salaheddine Lemaizi, Directeur de Publication d’Enass.
Ces migrants que l’on retrouve à Ouled Ziane et dans plusieurs villes du Maroc sont une conséquence de l’externalisation des frontières européennes.
Ali, un migrant camerounais, Camara et Kankré, deux migrants guinéens y témoignent notamment de leur quotidien, refont le chemin de leur route migratoire jusqu’au Maroc et surtout y parlent de leur aspiration toujours tenace à franchir la frontière européenne. La cohabitation avec les riverains du campement et les accrochages avec la police y sont également relatés.
Un campement pour migrants refoulés du Nord et de l’Est du Maroc
Après moult tentatives infructueuses de passer les barbelés érigés à Ceuta et Melilla, à la seule frontière terrestre entre l’Europe et l’Afrique, ou des essais de passage par la mer, les migrants reviennent souvent au campement d’Ouled Ziane, font de petits boulots ou mendient pour économiser encore quelques sous et retournent tenter de passer de l’autre côté de la Méditerranée.
« Ces migrants que l’on retrouve à Ouled Ziane et dans plusieurs villes du Maroc sont une conséquence de l’externalisation des frontières européennes. Ce sont des jeunes qui sont en transit qui se retrouvent bloqués et refoulés du Nord et de l’Est du Maroc. Ce sont des gens avec des trajectoires différentes. Certains avaient au départ un appartement et un travail mais quand ils l’ont perdu et ne pouvant plus payer de loyer, ils se sont réfugiés dans le campement. Chacun d’entre eux est en soi une histoire et un film », résume Salaheddine Lemaizi.
Des migrants reconnaissants…
Amidou Bayo, un migrant guinéen qui vivait dans le campement d’Ouled Ziane durant le tournage du documentaire, présent à la projection, a tenu à saluer le courage de l’équipe d’Enass : « Nous remercions l’équipe de journalistes qui a eu le courage de venir filmer au campement. Avec ce documentaire, nous sommes ravis de savoir que nous sommes défendus, considérés positivement et espérons que nos droits humains seront respectés ».
Un autre migrant, venu également voir le documentaire, a confié à l’assistance : « Nous espérons que ces échanges permettront de nous ouvrir des portes. Ne gardez pas seulement l’image des migrants dans la rue, il y a parmi nous beaucoup de gens avec des compétences et des diplômes à même de servir le Maroc. Nous avons des rêves comme vous ! ».
La diffusion du documentaire « Les aventuriers d’Ouled Ziane » a été également l’occasion de lever des équivoques voire de corriger certains préjugés vis-à-vis des migrants.
« Ce film bat en brèche le fait que beaucoup de gens disent que les migrants du camp d’Ouled Ziane ne sont pas accessibles, ce sont des gens très dangereux. Quand on est allé filmer, on a trouvé des gens avec beaucoup de bienveillance. Ce sont des êtres humains comme nous qui vivent dans des situations très difficiles, de précarité et de pression psychologique », rétorque Salaheddine Lemaizi.
Une mémoire de la migration au Maroc
Avec ses collègues d’Enass, ils souhaitent sortir le débat sur les migrations au Maroc des réseaux sociaux et l’amener sur des agoras réelles où l’on débat sereinement et de manière constructive sur une question qui préoccupe de plus en plus le pays.
La projection a en effet été suivie d’un riche débat avec beaucoup de questions autour de l’intégration des migrants, du respect des droits humains et de la politique de régularisation des migrants au Maroc. « Pour un pays qui construit son histoire de la migration, je crois qu’il est important qu’il y ait de la mémoire. Aujourd’hui, on a un documentaire qui vaut ce qu’il vaut mais nous avons campé un moment de la migration au Maroc », a conclu Salaheddine Lemaizi, également Président du Réseau Marocain des Journalistes des Migrations.