Juillet 2000.
Je décrochais mon bac de lettres modernes, un précieux sésame pour amorcer les études supérieures. Mon choix d’étude était fait avant même les examens : ce serait philosophie, d’abord, puis journalisme.
Grâce à mes bonnes notes en français et en philo en terminale et à l’examen du bac, j’ai été sélectionné pour un parcours lettres en France. La première étape devait être la classe prépa, en Hypokhâgne.
Le ministère de l’Éducation, m’a-t-on dit, avait fait diffuser un communiqué à la radio invitant les élèves triés sur le volet à se rendre dare-dare à Dakar, pour une séance d’information.
J’étais à ce moment en vacances au village, occupé à conduire les vaches aux pâturages, comme tout bon enfant nomade. J’ai donc manqué l’annonce.
Une connaissance de la famille l’avait entendue à la radio, mais a dissuadé la famille de m’en parler. Il préférait me voir étudier au pays. « Si vous le laissez partir faire des études de philo, il deviendra athée! », leur aurait-il prophétisé.
Pour une famille aussi religieuse que la mienne, ce syllogisme ne pouvait que faire mouche. Tout le monde a donc décidé de ne rien me dire.
Quand je découvre le pot aux roses, c’était trop tard : le ministère m’a expliqué qu’il avait déjà réattribué ma place, car je n’avais pas répondu à temps.
On m’a alors fait savoir que j’avais désormais le choix entre une bourse marocaine, algérienne, tunisienne et, si ma mémoire est bonne, égyptienne.
J’ai choisi spontanément le Maroc, que je connaissais sans avoir encore foulé son sol, sans doute du fait de la proximité sociale, culturelle et religieuse du royaume avec le Sénégal.
17 septembre 2000. Me voilà donc parmi le groupe de jeunes bacheliers sénégalais qu’un gros appareil de la compagnie saoudienne venait de débarquer à Casablanca. Ainsi en a décidé le mektoub.
Il faisait frisquet, je grelottais en attendant le bus de l’Agence marocaine de coopération internationale.
Notre cohorte a été appelée « promotion Mohammed VI », du nom de l’actuel roi, qui venait d’être intronisé quelques mois plus tôt à la suite du décès de son père, le roi Hassan II.
À cause d’une confusion sur les noms, je me suis retrouvé à l’École des sciences de l’information, l’ESI, plutôt qu’à l’Institut supérieur de l’information et de la communication, l’ISIC.
Mon séjour à la Cité universitaire internationale a été une autre véritable école. C’est là que j’ai découvert davantage l’Afrique. C’était une autre Union africaine.
Les deux établissements à Rabat sont seulement séparés par une clôture. Le premier forme des archivistes, documentalistes et bibliothécaires, tandis que le second forge de futurs journalistes et communicants.
N’ayant pas pu changer sur-le-champ, j’ai dû passer trois ans à l’ESI avant de pouvoir passer de l’autre côté de la clôture, où j’ai obtenu quatre ans plus tard une maîtrise en presse écrite.
En plus de la formation reçue, mon séjour à la Cité universitaire internationale a été une autre véritable école. C’est là que j’ai appris le wolof (oui, vous avez bien lu !), que je ne parlais pas du tout. C’est là aussi que j’ai découvert davantage l’Afrique : des étudiants de plus de 40 pays du continent y résidaient. C’était une autre Union africaine.
Après avoir travaillé durant 6 ans dans la presse à Casablanca, j’ai rejoint la division com’ d’un grand groupe bancaire local, où j’ai servi pendant 7 ans.
Les 19 ans passés au Maroc m’ont fait grandir, et, comme Ulysse, j’en suis parti plein d’usage et de raison. Je continue, de là où je vis désormais, à porter le royaume en bandoulière. Dans mon cœur et dans mes faits et gestes.
Je vous expliquais au début que c’était par un concours de circonstances que, au lieu de Paris, je me suis retrouvé à Rabat. Avec le temps passé, je peux crier haut et fort : quel heureux hasard !