L’ancien ministre des Affaires Etrangères du Sénégal, aujourd’hui Président de l’Institut Panafricain de Stratégies, Dr. Cheikh Tidiane Gadio, était présent aux Africa Talks by Mazars. Attaches Plurielles l’a rencontré pour discuter des questions diplomatiques et de sécurité sur le continent.
Attaches Plurielles : Quels sont les enjeux diplomatiques et sécuritaires qui attendent l’Afrique ?
Dr. Cheikh Tidiane Gadio : Les enjeux de diplomatie et de sécurité sont nombreux. L’Afrique a un problème global de prise en charge de sa propre sécurité et à force de tergiverser, nous nous sommes retrouvés dans la situation catastrophique d’aujourd’hui. Elle est partie de l’agression et la déstructuration de la Libye par l’OTAN. Pourtant, nous avions dit très clairement aux membres de l’OTAN que ce qui se passait en Libye allait avoir de graves répercussions sur l’Afrique de l’Ouest, sur la CEDEAO… Ils ne nous ont pas écoutés. De la même façon qu’ils nous demandent de les soutenir aujourd’hui sur la question de l’Ukraine, nous leur avions demandé la même chose pour la Libye.
Le terrorisme au Sahel est parti de petits groupes entrés au Mali et le phénomène s’est répandu sur toute l’Afrique de l’Ouest. Ils ont fait 40.000 victimes au Nigéria, des milliers de victimes au Burkina, au Mali, au Niger, en Somalie, au Kenya… ils sont partout sur le continent. Au Sénégal, jusqu’ici épargné, ils ont été repérés dans la zone de Kanel dans le Fouta.
Il faut que nous fassions nous-mêmes les sacrifices nécessaires au financement de notre propre sécurité.
La situation est très sérieuse et nécessite des solutions africaines mais apporter des solutions commence par dire la vérité. Dire que nous voulons des solutions africaines aux problèmes africains et ensuite aller demander de l’argent à Bruxelles n’a aucun sens. Il faut que nous fassions nous-mêmes les sacrifices nécessaires au financement de notre propre sécurité. Cheikh Anta Diop disait : « La sécurité précède le développement ». Mais sur la question, jusqu’ici, les dirigeants refusent ou disent oui mais au final ne font rien.
A.PL. : Vous êtes également Président de l’Institut Panafricain de Stratégies. Quel est son rôle ?
Dr. C.T.G : L’Institut Panafricain de Stratégies a été créé après l’attaque des jihadistes au Mali en 2012, pour réfléchir sur les questions de paix et de sécurité. On l’a appelé Institut Panafricain de Stratégies parce qu’on s’est rendu compte que l’Afrique n’avait pas de stratégie. Nous avons la fâcheuse habitude de toujours essayer et parfois, on n’attend même pas de voir si cela marche. Le plan de Lagos, par exemple, fait dans les années 80, par les meilleurs spécialistes africains des questions stratégiques à l’époque, a très vite été estompé par la Banque Mondiale et le FMI. Par la suite, ils ont détruit l’élan de la Côte d’Ivoire qui était en train de se développer et après ils se sont permis d’écrire un livre pour dire que les années 80 sont la décennie perdue du développement de l’Afrique.
Malgré tout, nous avons accepté de les suivre en créant le Traité d’Abuja, instituant la Communauté Economique Africaine, et avant même sa mise en œuvre, l’Union Africaine a été créée. Bis repetita, avant que l’encre qui développe sa mission et sa vision ne sèche, on a créé le NEPAD (Ndlr : Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique) et avant que le NEPAD ne soit mis en place, on parle d’émergence : Sénégal émergent, Guinée émergent, Cameroun émergent…
Nous avons 2 milliards de bras pour un continent qui a les meilleures terres arables du monde…
Posons-nous d’abord la question de savoir si on a une réelle vision pour le développement de l’Afrique. Nous avons 1,3 milliards d’habitants dont 1 milliard sont des jeunes, ce qui veut dire 2 milliards de bras pour un continent qui a les meilleures terres arables du monde, les meilleures ressources hydriques, 40% des richesses naturelles du monde. Qu’est-ce qui nous manque ? C’est le leadership. Nous n’avons pas de leadership à la hauteur des aspirations des peuples africains. Nous avons quelques leaders mais nous n’avons pas une masse critique de leaders. La conséquence, c’est que des milliers de jeunes prennent le chemin de l’exil, se noient dans les océans ou se font parfois prendre et sont vendus comme esclaves en Libye.
Où va l’Afrique ? Il faut changer et ce qui me donne espoir c’est que les jeunes Africains se réveillent. Ils n’accepteront plus qu’on leur impose des politiques d’asservissement. Ils sont nés bien après les indépendances, mais le drame serait de ne pas discuter avec les anciens pour gérer une bonne transition générationnelle. Ils risquent de commettre l’erreur, comme on le voit dans certains pays, d’aller brandir des drapeaux de la Russie et dire qu’ils ont négocié une nouvelle tutelle, qu’ils ont un nouveau maître qu’est la Russie et non la France. Quand on quitte son ancien maître, ce n’est pas pour trouver de nouveaux maîtres, c’est pour dire que l’Afrique est prête à se diriger elle-même, à se prendre en charge. La seule tutelle qui vaille pour nous, c’est la tutelle de l’Afrique sur l’Afrique, sur ses biens, sur ses populations.