Organisée par Mazars, la 4e édition des Africa Talks s’est tenue le 4 mai à Casablanca sur le thème « Les enjeux de l’Afrique en 2023 ». Autour de deux panels : « Enjeux politiques » et « Enjeux économiques », d’éminentes personnalités ont débattu sans langue de bois. Récit !
Discuter les enjeux de l’Afrique sur le continent entre Africains et avec d’autres acteurs pour anticiper les défis à venir, telle est la raison d’être des Africa Talks organisées par le cabinet d’audit, de fiscalité et de conseil, Mazars, a rappelé Abdou Diop (Lire aussi son interview), Managing Partner de Mazars au Maroc, dans son mot de bienvenue, avant de céder la parole à Chakib Alj, Président de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM).
Décrivant le contexte mondial multi-crises qui affecte toutes les économies, Chakib Alj a fait savoir que l’Afrique s’est montrée résiliente malgré tout. En effet, la croissance du continent devrait rester au-dessus de 3% en 2023, comme l’a souligné Mazars. L’Afrique devrait ainsi faire mieux que les économies avancées dont la croissance serait estimée aux alentours de 1,3%.
Il n’empêche que le continent reste peu industrialisé et fait face à de nombreux défis, a fait remarquer le Président de la CGEM, citant la sécurité alimentaire, sanitaire, le déficit en infrastructures, l’emploi des jeunes… « Il faut agir vite pour relever tous ces défis et tirer profit des nos atouts », selon Chakib Alj. Sachant qu’aujourd’hui, « plus de la moitié des 1,3 milliard d’habitants du continent a moins de 25 ans, le plus grand enjeu sera de créer des emplois et donner l’occasion à ces jeunes d’exprimer leurs talents », précise le Président du patronat marocain. Dans cette optique, il faudra miser sur le secteur de l’éducation et l’enseignement supérieur car « un capital humain africain bien formé est gage de développement du continent ».
Plus de la moitié des 1,3 milliard d’habitants du continent a moins de 25 ans…
Chakib Alj n’a pas manqué d’attirer l’attention sur la guerre en Ukraine qui a mis à nu les carences de la sécurité alimentaire de l’Afrique, un autre défi qu’il faudra relever en ayant « un mindset d’écosystème et de co-développement ». Conscient de cela, la CGEM a pris les devants en invitant en octobre dernier 25 patronats africains au Maroc. « L’objectif de cette rencontre était de construire une complémentarité des chaînes de valeur et de voir comment accélérer la mise en œuvre de la ZLECAF (Zone de libre-échange continentale africaine) », a souligné Chakib Alj. Le patron des patrons marocains a réitéré, dans ce sens, la mobilisation des entreprises marocaines pour insuffler une nouvelle dynamique économique aux secteurs de l’industrie, de la santé, du digital et des énergies renouvelables notamment l’éolien, l’hydrique et le solaire. Le Président de la CGEM recommande particulièrement d’exploiter le potentiel solaire du continent évalué à 60 millions de terawatt-heure par an (TWh) contre 37 millions de TWh/an pour l’Asie et 3 millions de TWh/an pour l’Europe. Chakib Alj a conclu son mot d’ouverture en citant Albert Einstein : « Au cœur de la difficulté se trouve l’opportunité ».
Récession démocratique et terrorisme
Des difficultés, l’Afrique en regorge au niveau politique comme évoqué lors du panel des Africa Talks dédié à ce sujet, avec un net recul démocratique, comme l’a fait remarquer Paulo Fernando Gomes, ancien candidat aux élections présidentielles en Guinée-Bissau, co-fondateur de New African Capital Partners et Président d’Orango Investment Corporation.
« L’Afrique a un problème de récession démocratique avec toute une vague de populisme où les éléments ethniques et religieux sont clairement mis sur la table. Nous connaissons une inflation de la médiocrité encouragée par la démission de nos élites alors qu’il y a une menace majeure : le terrorisme dans la bande sahélienne, qui m’inquiète beaucoup », avertit Paulo Fernando Gomes.
Les derniers coups d’Etat au Mali, en Guinée et au Burkina confortent en effet son assertion tout comme la guerre encore en cours au Soudan, qui a fait réagir Fabienne Hara, Directrice Adjointe du Forum de Paris sur la Paix. Pour cette spécialiste des politiques de paix et résolution des conflits, « la guerre qui se mène actuellement au Soudan est une crise de succession alimentée par une fragmentation des forces de sécurité ». D’après elle, « le Soudan vit plusieurs crises à la fois ».
Elle a également évoqué « la terrible guerre qui sévit en Ethiopie » et le terrorisme qui sévit dans ce pays, en passant par le Sud-Soudan, le Nigeria, le Mali, le Niger, le Burkina Faso, le Tchad… Sur tout le Sahel, les terroristes sèment en effet la terreur avec un arsenal de guerre puissant à même de donner des sueurs froides aux armées locales. « Dernièrement, les terroristes ont mené une attaque par drone au Mali. Qui finance le terrorisme en Afrique ? Il nous semble qu’il y a une réelle volonté de déplacer l’épicentre du terrorisme mondial en Afrique », affirme le Docteur Cheikh Tidiane Gadio, ancien ministre des Affaires Etrangères du Sénégal et Président de l’Institut Panafricain de Stratégies – IPS (Lire aussi son interview).
Il invite les pays du continent à faire bloc contre le terrorisme car il ne sert à rien d’élaborer des plans nationaux pour lutter contre un phénomène qui transcende les frontières. « L’Afrique doit mutualiser ses efforts contre le terrorisme car aucun pays ne peut s’en sortir seul », dixit Cheikh Tidiane Gadio.
Seuls 15 à 18% des jeunes rejoignent les rangs des terroristes pour des raisons idéologiques.
Un terrorisme alimenté souvent par la pauvreté, les inégalités, entre autres facteurs d’embrigadement. Didier Acouetey, Président Exécutif du Groupe AfriSearch, spécialisé dans la détection des talents et la gestion des ressources humaines pour l’Afrique explique en effet, chiffres à l’appui, que « seuls 15 à 18% des jeunes rejoignent les rangs des terroristes pour des raisons idéologiques, tout le reste le fait pour des raisons économiques ». Intervenant dans le second panel des Africa Talks dédié aux enjeux économiques de l’Afrique en 2023, il a pointé du doigt les gouvernants africains qui ne sont pas dans des stratégies à long terme.
L’éducation est également un levier puissant pour lutter contre le terrorisme et pour mener à bien les politiques économiques africaines sauf que ce secteur semble malade, avec une baisse du niveau des élèves constatée partout, avec comme conséquence un creusement des inégalités. « Il y a quelques privilégiés qui vont dans des écoles en relation avec l’international », regrette Amadou Diaw, Economiste et fondateur de la première Business School en Afrique de l’Ouest francophone, l’Institut Supérieur de Management de Dakar.
Il préconise « une école africaine pensée par l’Afrique avec une intégration de nos langues. Une école qui met l’Humain au cœur du système éducatif, une école ouverte sur le monde avec une forte mobilité sur le continent ». Une entreprise dans laquelle le Maroc et le Sénégal peuvent jouer un rôle central dans la mesure où ce sont les deux pays du continent qui reçoivent le plus d’étudiants étrangers.
Créer une complémentarité des chaînes de valeur
Revenant sur les enjeux économiques, Abdou Diop, Managing Partner de Mazars au Maroc, a insisté sur la nécessité de créer « une complémentarité des chaînes de valeur pour sortir du carcan de l’exportation de nos matières premières que nous importons ensuite comme produits finis ».
Didier Acouetey, Président du Groupe AfriSearch, qui a lancé en 2014 le premier Forum Africain de Financement des PME, suggère que « les pays africains investissent plus massivement dans le secteur de l’agriculture pour créer de la richesse et des emplois, sachant que 60% des terres arables du monde se trouvent sur le continent ». Il invite dans ce sens les Etats à servir de catalyseur, en gardant en tête que ce sont les industries qui créent de la richesse.
Les industries créatives constituent un nouveau marché lucratif, un secteur dynamique qui crée beaucoup d’emplois.
Autre secteur à enjeux pour l’Afrique : les industries créatives (un secteur qui se situe au carrefour entre arts, culture, affaires et technologie…, Ndlr). Marie Lora-Mungai, Fondatrice et PDG de Restless Global, société de conseil stratégique spécialisée dans les industries créatives et le sport-business en Afrique, explique que c’est un secteur dans lequel les bailleurs de fonds sont prêts à mettre beaucoup d’argent. En outre, affirme-t-elle, « aujourd’hui, un artiste africain a accès à une audience mondiale en un clic, ce qui n’était pas le cas, il y a quelques années ».
« Les industries créatives constituent un nouveau marché lucratif, un secteur dynamique qui crée beaucoup d’emplois mais il est difficile pour nous de trouver des projets bancables », souligne Xavier Reille, Directeur pour le Maghreb et Djibouti de la Société Financière Internationale.
Il n’empêche, les industries créatives restent une aubaine à saisir pour l’Afrique qui compte des success-stories, notamment dans le gaming, la mode, le e-commerce…, d’après Marie-Lora Mungai. Elle a souligné que le marché reste dominé par les Etats-Unis et la Chine. « Il ne faut pas que le studio africain de demain soit créé par un Chinois ou un Américain », avertit-elle, en guise d’appel aux jeunes africains à investir ce nouveau marché lucratif.
En politique comme en économie, beaucoup d’enjeux attendent l’Afrique en cette année 2023 et dans les années à venir. Bien que les obstacles soient aussi nombreux que les défis, Estelle Youssouffa, Modératrice générale des Africa Talks, députée à l’Assemblée nationale française et membre d’Africa Leadership Network se veut optimiste. « Rêvons encore pour l’Afrique », a-t-elle lancé, en clôture de la 4e édition des Africa Talks by Mazars.