Mehdi Alioua est un sociologue marocain, doyen de l’Institut d’Etudes Politiques de l’Université Internationale de Rabat. Spécialiste de la migration et titulaire de la Chaire Migrations, Mobilités, Cosmopolitisme, il étudie les mouvements migratoires transnationaux et les espaces transfrontaliers entre l’Afrique de l’Ouest, le Maghreb et l’Europe depuis plus de 20 ans. Pour mieux comprendre la migration subsaharienne au Maroc, nous sommes allés à sa rencontre. Ce dossier sera traité en deux volets.
À l’instar de tous les pays, le Maroc est un carrefour migratoire mais il l’est plus que d’autres. Il a toujours été un carrefour migratoire, « je dis bien toujours », insiste Mehdi Alioua, sociologue marocain, spécialiste de la question. « Le Maroc a toujours été une terre de passage, de brassage, d’installation, de départ, de retour ; ce n’est pas pour rien qu’il y a autant de Marocains à l’étranger (5 millions, NDLR) », explique-t-il. Il faudra cependant attendre l’indépendance pour que les Marocains prennent conscience qu’ils sont un Etat d’installation. Une conscience qui va se renforcer dans les années 2000, avec une reconnaissance sans équivoque des racines africaines du Maroc…
Droits des étrangers dans la Constitution
Mehdi Alioua met l’accent notamment sur une avancée majeure ayant trait à la situation des étrangers au Maroc, effectuée dans une période d’incertitude dans le monde arabe. Entre 2010 et 2011, lors des révolutions arabes et du Mouvement du 20 Février au Maroc, une nouvelle Constitution a été votée avec une spécification de la place et des droits des étrangers. « Au moment où le président Ben Ali fuit la Tunisie, que Moubarak fuit partout et que le Maroc est bousculé, l’Etat était suffisamment stable et la société suffisamment mûre pour pouvoir, non seulement réfléchir à des changements mais en même temps intégrer les droits des étrangers. Et intégrer les droits des étrangers dans une Constitution, c’est quand même un signe très clair que le Maroc était dans une optique de reconnaissance de la réalité migratoire avec une vision à long terme mais cela ne concernait pas forcément que l’Afrique subsaharienne », analyse le sociologue.
Effectivement, en 2013, le Maroc a mis en place une nouvelle politique migratoire, à la demande du Roi Mohammed VI, avec comme corollaire la régularisation des migrants sans-papiers. « Immédiatement dans la tête des gens, journalistes y compris, alors que ce n’est écrit nulle part, on associe cela à l’Afrique subsaharienne alors que bien que l’Afrique subsaharienne soit concernée, cette régularisation était destinée à tous les étrangers », souligne Mehdi Alioua.
Pour étayer son propos, le sociologue dont les études ont été mises à contribution dans l’élaboration de la nouvelle politique migratoire, par le biais notamment du Conseil National des Droits de l’Homme, présidé à l’époque par Driss El Yazami, avance les vrais chiffres.
Le Maroc n’est pas un pays d’immigration massive
Selon lui, la régularisation a concerné quelque 102 nationalités, avec les Sénégalais en tête, suivies des Syriens et des Ivoiriens. « C’est vraiment ces nationalités-là, le Sénégal et la Côte d’Ivoire loin devant, suivent la Guinée, le Mali, le Nigeria, la RDC, après, on compte en centaines. Il y avait des Espagnols, des Grecs, des Chypriotes, des Palestiniens, des Irakiens, des Canadiens, des gens d’Amérique latine… Quant à ceux qui ont demandé et obtenu les papiers, ils ne dépassent pas les 50.000 personnes. Si on ajoute à ce chiffre ceux qui ont demandé et n’ont pas obtenu la régularisation, on est à environ 70.000 personnes. C’est ridiculement bas comme chiffre », de l’avis du sociologue.
Mehdi Alioua, Doyen de l’Institut d’Etudes Politiques de l’Université Internationale de Rabat, compare ainsi ce chiffre avec ceux des autres pays du continent et il n’y a pas photo : « Il faut que les gens comprennent à quel point le Maroc n’est pas un pays d’installation massive, c’est un carrefour migratoire mais pas un pays d’immigration massive. Si on prend la Côte d’Ivoire, c’est 2,3 à 2,5 millions d’étrangers qui sont installés ; en Afrique du Sud, c’est 3,6 à 4 millions de personnes ; au Nigeria, un grand pays d’émigration comme le Maroc, c’est un peu plus de 1,2 million ».
Un traitement médiatique biaisé
Enfilant sa casquette de militant du GADEM (Groupe antiraciste de défense et d’accompagnement des étrangers et migrants), association dont il a participé à la création, tout en gardant celui du sociologue, Mehdi Alioua est revenu sur le traitement médiatique surtout télévisé « très réducteur » qui a été faite de la régularisation.
« Montrer à la télé tout le temps des files de personnes noires, souvent habillées de façon où on ne peut même pas discerner qui ils sont, c’est très réducteur. Du coup, on est focalisé sur l’Afrique subsaharienne, ce qui n’est pas un problème parce que c’est bien d’en parler mais ça devient un problème si on est focalisé au détriment de la réalité migratoire. On ne montre pas les Européens… », regrette le sociologue-militant.
Des urbains venus régulièrement au Maroc
Mehdi Alioua déconstruit cette perception en convoquant une étude menée durant la régularisation, à laquelle, il a participé. Sur un échantillon de 1.440 personnes demandeuses, les 2/3 étaient des jeunes avec une moyenne d’âge de 26 ans et ; 90% d’entre eux venaient des grandes villes. Mehdi Alioua précise également que l’étude a montré que les demandeurs de régulation n’étaient pas les plus pauvres.
« On a une surreprésentation des jeunes urbains, peut-être que leurs parents étaient d’origine rurale mais eux sont des urbains et c’est logique parce que c’est ce qu’on trouve maintenant dans la migration des Marocains en Europe. Ce sont de jeunes urbains de catégorie intermédiaire, cela veut dire qu’ils ne sont pas les classes populaires, ce ne sont pas les plus pauvres », dixit le sociologue.
Il fait ressortir également une autre réalité, « 62% des demandeurs sont venus avec le choix du Maroc en priorité ». Concernant leur niveau d’études : « la majorité a le niveau secondaire et une bonne partie, pratiquement plus du tiers, a un niveau d’études supérieur avec des diplômes Bac+2 et Bac +3 » et la majorité est venue régulièrement au Maroc par avion, éclaire le sociologue Mehdi Alioua.
À suivre : Itinéraires et catégories des migrants subsahariens au Maroc