Les migrants subsahariens au Maroc viennent de différents pays et n’entrent pas tous de la même manière dans le Royaume, tout comme ils ne viennent pas pour les mêmes raisons. Quels sont les itinéraires empruntés ? Quelles catégories de migrants subsahariens sont présentes au Maroc ? Le sociologue marocain Mehdi Alioua, nous éclaire dans cette deuxième et dernière partie de notre dossier « Comprendre la migration au Maroc ».
Après nous avoir démontré, chiffres à l’appui, que le Maroc, bien qu’ayant toujours été un carrefour migratoire, n’était pas un pays d’immigration massive, le sociologue Mehdi Alioua, titulaire de la Chaire Migrations, Mobilités, Cosmopolitisme à l’Université Internationale de Rabat, nous apporte des précisions sur les itinéraires et les catégories de migrants subsahariens au Maroc.
Il souligne d’emblée que « le Maroc accueille différentes populations venues de différents pays subsahariens pour différentes raisons. Ces différentes raisons ne sont pas suffisantes, à elles seules, pour pouvoir justifier d’une catégorisation ». Une manière de dire ô combien il est complexe de loger à la même enseigne plusieurs personnes venues d’horizons divers, de diverses cultures… D’aucuns sont venus au Maroc régulièrement tandis que d’autres sont entrés dans le pays clandestinement. Une partie a volontairement choisi le Maroc comme destination finale de son périple quand, pour l’autre, le Maroc n’est qu’une étape dans le voyage, sans visa, vers l’Europe.
Dans cette dernière catégorie, les personnes décident de quitter chez eux pour prendre la route. Pour certains, le projet migratoire est clairement défini : « ils vont en Europe pour rejoindre quelqu’un, par exemple », et pour d’autres « le projet migratoire n’est absolument pas défini », explique Mehdi Alioua.
La transmigration sur la route vers l’Europe
Toutes ces personnes prennent ensuite les routes migratoires, qui vont les amener à traverser clandestinement plusieurs pays pour atteindre leur objectif. Ils se retrouvent ainsi en compagnons de voyage. « S’il y a un projet, il y a aussi une géographie mais cette géographie, ces territoires que l’on traverse, qu’on appelle des routes migratoires pour se diriger, pour réussir son projet, ne sont pas lisses », de l’avis de Mehdi Alioua, également Doyen de l’Institut d’Etudes Politiques de l’Université Internationale de Rabat.
« La transmigration, c’est la migration transnationale par contournement des frontières ou des règles établies en termes de séjour sur le territoire. »
Et de poursuivre : « ces personnes traversent plusieurs pays, étape par étape, c’est ce que j’appelle la transmigration, c’est la migration transnationale par contournement des frontières ou des règles établies en termes de séjour sur le territoire. C’est-à-dire qu’on va traverser, pays par pays, sans autorisation de l’Etat. En Afrique de l’Ouest, on n’a pas besoin de ces autorisations, mais on va prolonger les séjours sans autorisation ou lorsqu’on rentre au Maroc avec autorisation, on va prolonger le séjour sans autorisation ».
Mais avant d’en arriver aux portes de l’Europe qu’est le Maroc, la route est longue et se transforme souvent en calvaire. « Lorsqu’on vient du Congo ou, plus proche, du Sénégal ou de la Guinée et que l’on veut passer en Europe et qu’on doit traverser le désert du Sahara, c’est très difficile. On ne traverse pas le Sahara impunément. C’est terrible et il y a eu beaucoup de morts. On n’a pas réussi à tous les compter », explique Mehdi Alioua. Cette traversée du désert se faisait assez régulièrement jusque dans les années 2014-2015 par le Mali, le Niger, la Libye, la Tunisie et l’Algérie avant d’arriver au Maroc, un périple qui pouvait durer plusieurs années, selon le sociologue.
Une fois au Maroc, des cohortes de gens finissent par passer et sont remplacés par des nouveaux qui ont le même projet migratoire, d’autres moins chanceux sont dans l’errance et finissent par rentrer chez eux ou aller dans un autre pays. Dans cette circulation, il y a aussi des gens qui n’ont absolument pas le projet de passer en Europe, qui sont des migrants continentaux pour reprendre les propos de Mehdi Alioua. Il ajoute : « Au Maroc, il y a des migrants qui étaient là depuis longtemps, qui sont arrivés de la même manière mais qui sont restés tellement longtemps que, finalement, leur projet migratoire s’est transformé, ce qui ne veut pas dire qu’ils ont abandonné l’idée d’Europe mais cela veut dire qu’elle est reconfigurée. C’est pour plus tard », décortique le sociologue.
Trois catégories de migrants subsahariens au Maroc
Les itinéraires définissant en partie les migrants, Mehdi Alioua juge qu’il y a trois principales catégories de migrants au Maroc : « Il y a ceux qui sont arrivés directement au Maroc, par avion, avec des papiers et qui sont venus pour rester et ils sont bien plus nombreux qu’on ne le croit. Il y a la catégorie de ceux qui sont arrivés clandestinement au Maroc, après avoir traversé plusieurs pays, dès fois même, après avoir vécu longtemps dans d’autres pays que le leur, et qui veulent rejoindre l’Europe. Et il y a aussi la catégorie de ceux qui sont arrivés clandestinement dans l’optique d’aller en Europe, mais qui ont mis en suspens leur projet et sont restés ».
Parmi les migrants qui restent longtemps au Maroc, Mehdi Alioua cite les étudiants qui intègrent le marché de l’emploi après leurs cursus, des cadres, des commerçants, entre autres. Ceux-ci se distinguent des migrants « en errance », des « aventuriers » qui ont pour projet de rejoindre l’Europe coûte que coûte. « On va appeler toutes ces catégories les migrants subsahariens alors que certains ne veulent pas être appelés ainsi parce qu’ils se différencient des aventuriers, certains ne savent pas comment s’appeler eux-mêmes, certains sont dans d’autres logiques », souligne le sociologue. « Sauf que si on amalgame tout le monde, cela pose tout un ensemble de problèmes. Par exemple, si on commence à dire : il y a des problèmes aux frontières, autour de Sebta et Melilla, Tétouan, Nador, il faut empêcher les gens de prendre d’assaut les grillages, il faut arrêter les sans-papiers, si, pour eux, sans-papier veut dire noir, les policiers vont arrêter les noirs. C’est ce qui est en train de se passer en Tunisie », interpelle Mehdi Alioua, qui a eu l’amabilité de répondre à nos questions sur ce dossier qui visait à comprendre la migration notamment subsaharienne au Maroc, au-delà des préjugés.