La grossesse est une des étapes majeures dans la vie d’une femme, d’un couple, d’une famille. Quand on est, en plus, loin de son entourage proche et de ses repères habituels, le chemin peut sembler plus long à traverser. Pour nous éclairer sur le sujet et nous prodiguer de précieux conseils, nous sommes allés à la rencontre de Dr. Houda Fasla Tahiri, gynécologue-obstétricienne basée à Casablanca. Interview
Attaches Plurielles : Présentez-vous à nos lecteurs
Dr. Houda Fasla Tahiri : Je m’appelle Houda Fasla Tahiri, je suis gynécologue-obstétricienne basée à Casablanca. J’ai la chance et l’honneur d’accompagner mes patientes à travers des soins de qualité selon leurs besoins et leurs spécificités. En dehors de mon activité, je suis également une maman comblée de deux merveilleux enfants, qui sont ma source de motivation et de bonheur au quotidien.
A.Pl. : Quels sont les défis les plus courants que les femmes étrangères rencontrent lorsqu’elles sont enceintes au Maroc ?
Dr. H.F.T. : Concrètement, les défis sont les mêmes pour toutes les femmes, que l’on soit étrangère ou pas et quel que soit l’endroit où l’on se trouve. Maintenant, la chance que nous avons au Maroc, c’est que nous sommes une référence sur le continent en matière de parcours de soins. La difficulté pour la femme enceinte étrangère au Maroc peut, peut-être, résider dans le statut de la patiente, dans le fait qu’elle ait une assurance maladie ou pas, dans le fait qu’elle ait une activité professionnelle ou pas. Finalement, le plus gros défi est de gérer la distance avec les proches et d’être entourée de personnes réceptives aux différences culturelles qui peuvent potentiellement être sources d’incompréhensions. En résumé, il y a certes un défi financier selon la capacité de prise en charge de la patiente car la médecine n’est hélas pas gratuite mais il y a aussi la prise en compte des spécificités culturelles dans l’entourage médical.
Le plus gros défi est de gérer la distance avec les proches et d’être entourée de personnes réceptives aux différences culturelles.
A.Pl. : Comment une femme peut-elle assurer un suivi médical optimal pendant la grossesse ?
Dr. H.F.T. : Tout d’abord, il faut savoir qu’une grossesse se prépare en amont avec une consultation pré-partum, méconnue par la majorité des femmes mais extrêmement importante. Le but est de rechercher les maladies qui pourraient compliquer la grossesse. Par rapport à la diaspora subsaharienne, il est important de vérifier par exemple les thalassémies (groupe de maladies héréditaires caractérisées par un défaut quantitatif de la synthèse de l’hémoglobine, la molécule qui assure le transport de l’oxygène par le sang, NDLR) très fréquentes en Afrique subsaharienne et qui peuvent avoir un impact sur la grossesse, mais aussi la présence de fibromes. Cette consultation est également l’occasion de renvoyer vers d’autres spécialistes comme l’ophtalmologue, le dentiste entre autres. Elle permet également de prendre la thérapeutique nécessaire pour que la grossesse se passe au mieux. Une fois la grossesse confirmée, il y a le suivi mensuel des consultations mais aussi les trois échographies importantes : l’échographie du premier trimestre pour la datation et la clarté nucale ; l’échographie du deuxième trimestre pour la morphologie et l’échographie de croissance qui se déroule au troisième trimestre. Et bien sûr, il y a les bilans biologiques usuels qu’il faut éventuellement compléter en fonction du terrain médical de la patiente, selon la présence d’une pathologie identifiée à suivre tout au long de la grossesse (hypothyroïdie, thalassémie, etc.) ou en fonction des pathologies qui pourraient naître pendant la grossesse (diabète gestationnel, hypertension artérielle, etc.).
Concrètement, à partir du moment où vous découvrez que vous êtes enceinte, allez directement voir un médecin pour que ce dernier puisse exclure tout risque de grossesse extra-utérine. On a tendance à voir des patientes qui attendent de consulter en retardant l’échéance dans l’espoir de tout voir et c’est malheureusement dans ces cas de figure que se produisent les drames.
A.Pl. : Le stress et l’anxiété liés à la grossesse ne sont pas évidents à gérer quand on est loin de sa famille et de ses amis proches. Comment y faire face ?
Dr. H.F.T. : A mon sens, il faut absolument se préserver en évitant les énergies négatives surtout sur les réseaux sociaux. Il faut ensuite choisir des sources de lectures fiables et ne pas forcément croire tout ce qui se trouve sur Internet. Il faut également poser les questions qui vous taraudent aux bonnes personnes et donc à son médecin, même celles qui peuvent vous sembler banales ou futiles. Ensuite, il est important de se documenter pour préparer l’arrivée du bébé car c’est souvent ce qui génère du stress. Le dernier trimestre est particulièrement spécial car c’est le point de départ du marathon mais il est important de ne pas chercher la perfection. Et quand on est loin de ses proches et donc seule, la plus grande difficulté est que l’on n’a pas d’aide. Le fait de se documenter et d’identifier les besoins à venir permet de mieux s’organiser pour être moins débordée quand bébé arrive. On peut par exemple préparer les courses à l’avance, préparer des repas à congeler, chercher de l’aide en amont. Il ne faut pas hésiter non plus à poser des questions à d’autres mamans de son entourage. Après il y a une anxiété naturelle que toute femme peut avoir par rapport à l’accouchement, à comment cela se déroule mais le plus important c’est de se faire confiance, de faire confiance à l’entourage médical. Je recommande souvent à mes patientes d’aller visiter le lieu où elles vont accoucher pour se projeter, s’habituer à l’environnement avant le Jour J. On peut aussi suivre des cours de préparation à l’accouchement qui peuvent aider à rassurer et à diminuer ce stress. Et surtout, je me répète : ne pas chercher la perfection et être clémente avec soi.
A.Pl. : Comment maintenir un mode de vie sain et équilibré pendant la grossesse ?
Dr. H.F.T. : On a tendance à entendre la fameuse phrase « manger pour deux », c’est totalement faux. Il faut comprendre que le corps de la femme est constitué de réserves pour porter un enfant. Concrètement, on n’a pas besoin de manger plus, durant le premier trimestre. Il est recommandé de manger normalement et de bien s’hydrater et ce, pendant toute la grossesse. Au deuxième trimestre, on continue de manger comme d’habitude, avec en supplément une collation légère à 10h et une autre à 16h, si ce n’était pas dans nos habitudes ultérieures. Au troisième et dernier trimestre, on insiste sur les protéines, sur les légumes et on diminue la part de sucres rapides. En résumé, une femme enceinte mange comme un sportif car la grossesse est un marathon en soi. En termes d’activité physique, tout dépend de votre appétence ou non au sport avant la grossesse. Pour les femmes très sportives, je recommande de garder une activité physique qui soit plus orientée plaisance que performance. A partir du deuxième trimestre, on évite cependant tout qui a trait à l’équilibre car le centre de gravité change et on est exposé au risque de chute. Tout sport à impact est aussi à éviter. Il faut privilégier plutôt la natation qui permet de développer le souffle, de travailler les muscles profonds et superficiels. L’eau est un milieu propice qui rappelle la flottaison du bébé dans le ventre. Il y a aussi la marche que l’on peut pratiquer tout au long de la grossesse, trois fois par semaine, car l’activité physique est essentielle. Tout ceci, bien entendu sous réserve de contre-indication médicale.
A.Pl. : Que pensez-vous de l’association que beaucoup de gens font entre l’accouchement par césarienne et le confort et l’accouchement par voie basse et la combativité ?
Dr. H.F.T. : Je pense que les deux actes sont totalement distincts et pertinents, selon la situation de chaque femme. Rappelons que c’est grâce à la césarienne que la mortalité materno-fœtale a diminué dans tous les pays. C’est un accouchement en soi au même titre que la voie basse, le plus important pour nous étant d’avoir une maman et un enfant en bonne santé. Il faut rappeler que le post-partum de la césarienne est nettement plus difficile que celui de la voie basse ; c’est un défi majeur que gère la femme après son accouchement. Il arrive aussi qu’on finisse avec une césarienne d’urgence après avoir eu des contractions, le plus important pour nous étant, je le répète, de garantir la sécurité de la maman et de l’enfant.
A.Pl. : Quid du post-partum ?
Dr. H.F.T. : Pendant la phase post-partum, donc post-accouchement, si on se retrouve face à des insomnies, des crises de larmes fréquentes, de l’anxiété qui s’installe sur la durée, il faut impérativement consulter son médecin pour déceler et suivre une potentielle dépression post-partum qui est à distinguer du baby-blues qui dure généralement 3 à 4 jours après l’accouchement. Dans cette phase, il est également important de prendre en compte la prise en charge périnéale pour éviter d’éventuelles fuites urinaires, entre autres problèmes qui peuvent survenir. Pour tout ce qui est allaitement, il existe également des cours de préparation qui peuvent aider à prévenir des crevasses ou à bien choisir la position du bébé, etc.
A.Pl. : Votre mot de la fin ?
Dr. H.F.T. : Profitez de votre grossesse au maximum car finalement elle ne dure que neuf mois et on a tendance à ne voir que les problèmes et pas assez le positif. C’est une source absolue de bonheur que de ressentir son bébé bouger, d’entendre son cœur battre pour la première fois ; c’est un miracle de la vie et il faut en profiter pleinement. Pour tout ce qui est négatif et complexe, laissez-votre professionnel de soin s’en occuper.