Invitée à une rencontre-débat organisée par le Réseau Marocain des Journalistes des Migrations, sur le thème « Penser et écrire l’émigration-immigration depuis le Maroc », mardi 22 octobre à l’Institut Français de Casablanca, la journaliste et écrivaine marocaine, Zakya Daoud a porté un regard inquiet sur la question.
Autrice de plusieurs ouvrages sur l’émigration : « La diaspora marocaine en Europe », « Travailleurs marocains en France » ou « Marocains des deux rives », Zakya Daoud connaît très bien la question, aussi bien du point de vue journalistique que de celui de l’écrivaine.
Elle a d’abord fait remarquer que les premiers ouvriers marocains en France dans les années 60 ont été sollicités pour aller y travailler. « Il s’agissait juste de faire sa valise, de prendre le car et d’aller à Paris. Personne ne les embêtait à la frontière parce qu’on avait besoin d’eux », ironise Zakya Daoud. « C’étaient des gens arrivés en France de manière consensuelle pour travailler. Après, il y a eu le regroupement familial et ils se sont installés. 40% au moins des immigrés sont devenus français pour la France donc est-ce qu’on peut encore les considérer comme des immigrés, je ne pense pas », ajoute Zakya Daoud, elle-même Marocaine d’origine française, qui a co-fondé avec son mari le mensuel de référence Lamalif en 1966.
Une question identitaire
A l’en croire, « la question de l’émigration ou de l’immigration n’était pas aussi identitaire et absolutiste qu’aujourd’hui ». Elle regrette que le sujet de l’immigration soit notamment accaparé par des gens qui attisent la haine. « Le problème c’est que ce sont des gens qui ont de la haine qui prennent la parole sur le sujet mais pas des gens capables d’expliquer scientifiquement la question de l’émigration ou de l’immigration. Ce n’est pas une question de bien ou de mal. On n’y peut rien, c’est la vie », tranche Zakya Daoud.
Citant l’exemple de la campagne présidentielle américaine où l’ancien président Donald Trump ne cesse d’instrumentaliser et de pointer du doigt les migrants, Zakya Daoud a déploré le fait que « malheureusement, sur le plan politique, le fait d’agiter les peurs marche ».
Accueil des migrants : le Maroc reproduit les mêmes schémas que la France…
Interpellée sur l’accueil des migrants au Maroc qui, d’après elle, reproduit les mêmes schémas que la France dans les années 60, Zakya Daoud a souligné que « le Maroc qui était une terre de départ est devenu une terre d’accueil mais comment le pays s’en tire-t-il parce qu’on voit les mêmes reproductions, les mêmes schémas : la plupart des immigrés subsahariens font la même chose que ce que faisaient les premiers émigrés marocains en France : ils sont devenus maçons ou des domestiques ».
Zakya Daoud s’est aussi prononcée sur l’origine même du prisme identitaire qui gangrène les débats sur l’immigration de nos jours. Pour elle, c’est notamment le nombre d’immigrés qui a augmenté au fil du temps qui a créé la peur. « Quand c’est quelques dizaines d’immigrés qui arrivent à la frontière, ils sont acceptés mais quand il y en a 100.000, qu’est-ce qu’on fait ? », s’interroge-t-elle, avant d’ajouter : « les gens qui n’ont jamais bougé de chez eux, ne sont pas prêts à comprendre des gens qui viennent d’ailleurs. Nous sommes devant un conflit de civilisations. Ce sont des problèmes identitaires très profonds ».
« Le monde est un et pour tout le monde » – Zakya Daoud, journaliste et écrivain.
La journaliste et écrivaine marocaine Zakya Daoud appelle ainsi à changer les mentalités car, prévient-elle, « l’émigration et l’immigration sont des phénomènes qui sont appelés à durer et tant que les mentalités ne changeront pas, les tiraillements, les difficultés, les guerres continueront ». Et de conclure en invitant à voir l’humanité comme un seul et indivisible bien commun : « Le fait d’aborder la question de l’immigration sous le prisme identitaire va continuer tant qu’on n’aura pas compris que le monde est un et pour tout le monde ».
Pour rappel, la rencontre-débat a été organisée par le Réseau Marocain des Journalistes des Migrations (RMJM) en partenariat avec l’Institut Français de Casablanca.
« Nous sommes une association de journalistes et d’étudiants en journalisme. Nous essayons de promouvoir l’intérêt sur la question des migrations qui sont au fond une question de vie. Nous nous intéressons aux personnes qui vivent et qui bougent autour de ce pays, depuis ce pays, vers ce pays ou qui transitent par ce pays, qu’on les appelle migrants, exilés, sans-papiers…Et ce ne sont pas que des personnes de conditions vulnérables, qu’ils soient de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie ou d’Europe. Nous essayons de déconstruire le prisme qui a dominé et domine toujours le regard sur l’émigration », a rappelé le Président du RMJM, Salaheddine Lemaizi, également co-fondateur du média digital indépendant Enass.