Attaches Plurielles a rencontré Abdou Souleye Diop, vendredi 20 octobre, à ONOMO Hotel Casablanca City Center, où il dédicaçait son dernier livre : « Sénégal à portée de mains, le lion sort de sa tanière ». Nous avons posé trois questions à cet expert internationalement reconnu dans le domaine du développement et Managing Partner de Mazars au Maroc. Nous avons échangé sur son ouvrage et sur l’Afrique où il a travaillé sur des projets de développement dans 51 des 54 pays que compte le continent.
Qu’est-ce qui a inspiré le titre de votre livre « Sénégal à portée de mains, le lion sort de sa tanière » ?
Il y a trois éléments essentiels dans le titre. Il y a d’abord le Sénégal qui est le sujet principal du livre même si je considère que, sur beaucoup d’aspects, il peut s’adapter à beaucoup de pays qui ont les mêmes challenges et les mêmes enjeux que le Sénégal. Il y a ensuite l’expression « à portée de mains », pour dire qu’aujourd’hui, compte tenu de la trajectoire que nous avons prise, du potentiel et des évolutions géopolitiques, nous sommes arrivés à un niveau où le développement est vraiment à portée de mains. Il est à portée de mains à condition que l’on mette en place les bonnes stratégies publiques, qu’on les confie aux bonnes personnes et que tout cela soit accompagné d’une gouvernance publique efficace. Il y a enfin « Le lion sort de sa tanière ». Beaucoup de monde pense que je parle de ma personne alors que non, je parle très peu de moi. « Le lion sort de sa tanière » fait référence à des discussions que nous avions eues au début des années 2000, lorsque des économistes disaient que l’Afrique est le hopeless continent. Il fallait que l’on réagisse. Un groupe d’intellectuels africains s’est alors réuni pour justement réfléchir à l’avenir du continent, ce qui a abouti, à l’époque, à ce que l’on a appelé « La stratégie du lion » composée de plusieurs scenarii et le scénario le plus positif était qu’à un moment, les lions sortaient de leurs tanières. C’est donc par référence à cela. Au Sénégal, le développement est à portée de mains et le pays doit être parmi ces lions du continent qui sortent de leurs tanières, si on fait ce qu’il y a à faire. Comment atteindre ce développement à portée de mains et faire sortir le lion Sénégal de sa tanière ? C’est toute la teneur de ce livre.
Quels sont les principaux piliers sur lesquels le Sénégal doit s’appuyer pour atteindre justement ce développement à portée de mains ?
Pour moi, il y a cinq piliers ou axes stratégiques qui vont permettre au Sénégal de se développer de manière inclusive et durable. Le premier pilier, c’est la mise en place de stratégies et politiques économiques créatrices de valeur et de richesses. Le deuxième pilier, ce sont des services sociaux accessibles à tous, notamment la santé, l’éducation, le logement… Le troisième pilier, c’est un capital humain promu et créateur de richesses pour le pays. Dans ce domaine, nous avons un potentiel extrêmement important avec la jeunesse de la population de notre pays. Il faut l’encadrer et le valoriser pour qu’il apporte de la vraie richesse. Le quatrième pilier, c’est l’environnement et le développement durable parce qu’il faut que tous les précédents axes tiennent compte des menaces que font peser les changements climatiques sur le Sénégal. La possibilité de faire de l’environnement un axe porteur de valeur existe et l’économie circulaire en est une des pistes, entre autres. Le cinquième axe ou pilier, qui est transversal et tout aussi essentiel que les autres, c’est une gouvernance publique efficace, c’est-à-dire en termes d’élaboration de politiques publiques, de gestion de la chose publique, de reddition des comptes, de séparation des pouvoirs… Concernant tous ces axes, je donne ma vision pour les matérialiser, dans le livre.

Ce que vous développez dans ce livre peut concerner beaucoup d’autres pays africains, disiez-vous. Pourquoi ?
Les axes dont j’ai parlé sont des enjeux majeurs pour quasiment tous les pays africains, qui ont la même problématique. Pour beaucoup de pays, le schéma est le même et cela s’est appliqué à un moment au Maroc qui a su par la suite relever ce défi, c’est-à-dire qu’on a des pays qui, après avoir pris leurs indépendances, ont mis en place des politiques publiques qui n’ont pas donné les résultats qu’il fallait, ensuite il y a eu des ajustements structurels pour rectifier le tir mais qui en même temps ont affaibli l’Etat avec les privatisations qui ont donné lieu à la création de richesses étrangères sans créer un secteur privé national. Progressivement, on est revenu vers de la rigueur et de la croissance sauf que cette croissance a été drainée par des investissements publics. Cela veut dire que l’on a exporté la croissance qui, par conséquent, n’a pas créé de richesses pour les populations et de là, on a creusé le gap entre les riches et les pauvres. Quand on regarde ce schéma, c’est le même pour beaucoup de pays africains dont le Sénégal, avec la seule différence que nous avons aujourd’hui le socle qu’est le Plan Sénégal Emergent, qui nous a donné une trajectoire. De la même manière, beaucoup de pays africains ont repris la trajectoire de la croissance mais ont cette problématique de créer de la richesse. Certains disent que la croissance ne se mange pas, aujourd’hui, le sujet est de savoir justement comment la croissance peut créer de la richesse et être la plus inclusive possible. C’est pour cela que je dis que les solutions que je propose peuvent être utiles, en tout cas dans beaucoup d’aspects, à beaucoup de pays d’autant plus que j’ai eu la chance de travailler sur des projets de développement globaux ou sectoriels dans 51 pays africains sur 54 donc c’est quelque chose qui vient de l’expérience, avec un vécu très important au Maroc, qui est aujourd’hui un modèle de développement pour beaucoup de pays africains.